mercredi 8 janvier 2014

Le mauvais côté de la clôture

Quasiment dès mon entrée sur le marché du travail, à 16 ans, j'ai travaillé dans le milieu juridique. Ça me va bien le milieu juridique : je comprends bien le jargon et j'ai, selon mes collègues-avocats, un grand de la justice. En plus, j'ai été chanceuse : j'ai presque toujours été "du bon côté de la clôture". (Expression d'avocat qui réfère, si j'ai bien compris, à l'époque où une clôture ou un barreau séparait les juges et les avocats du public. Quand vous étiez du bon bord de la clôture, vous étiez avec la Justice. Du mauvais bord, vous étiez plutôt du côté de la racaille, même si vous pouviez vous habiller en toge et prétendre être un homme de loi... fin de la parenthèse! ;)

C'est-à-dire que j'étais soit engagée par une compagnie qui devait se défendre contre d'autres compagnies (et là, entre gros poissons, tout le monde était à armes égales), soit je travaillais avec des équipes qui défendaient des personnes vulnérables ou des collectivités, soit j'étais impliquée dans des révisions législatives (participant carrément à construire un meilleur système de justice), soit je touchais au droit criminel (et quand vos considérez les enjeux d'un procès criminel, vous admettez assez vite que tout le monde mérite d'être défendu).

Bref, en quinze ans sur le marché du travail, je ne me suis jamais retrouvée dans une situation où mon travail participait à renforcer des actes techniquement légaux, mais moralement injustes ou douteux.

Jusqu'à maintenant. Voyez-vous, l'an dernier j'ai quitté les avocats (parce que j'en avais marre de l'attitude élitiste de certains pour qui vous n'êtes pas tout à fait humain si vous n'avez pas réussi l'examen du Barreau) pour les assureurs. Et je crois que je n'avais pas vraiment réfléchi à ce que ça impliquait.

Alors qu'un avocat est payé pour donner un service, un assureur, lui, fait payer des clients en promettant de les indemniser en cas de problème... Cependant, ce qu'il espère, c'est ne jamais avoir à sortir un sou de ses coffres. Et si jamais il est obligé de payer, il va s'arranger pour que ça lui coûte le moins cher possible.

Résultat? Je passe mes journées à traiter des dossiers où des gens se font offrir des sommes moindre que celles qu'ils pouvaient espérer, parce que l'assureur table sur le fait que ces personnes seront déjà heureuses de recevoir un peu d'argent et qu'elles n'auront pas les moyens d'engager des poursuites si jamais la somme ne fait pas leur affaire.

Ça m'écoeure. La seule raison pour laquelle je tiens bon, jusqu'à maintenant, c'est que j'ai des collègues adorables et que c'est pas moi qui prend les décisions finales. Cependant, je suis un rouage de ce système injuste et ça me cause un malaise permanent. Malaise qui est me semble s'être accru pendant le congé des Fêtes.

Pffff! C'est quand les vacances?

Pour ceux qui paniqueraient à l'idée que mon employeur tombe sur ce billet... Vous en faites pas : il est pas mal au courant de mes sentiments vis-à-vis ses politiques de remboursement. (Grande gueule un jour...) Mais, me dit-on, c'est de même que ça marche les assurances.

10 commentaires:

Prospéryne a dit…

J'ai voulu faire une réclamation à ma compagnie d'assurances il y a quelques temps, pour un petit montant, même pas 500$, mais j'y avais droit parce que j'avais ramassée toute la paperasse nécessaire. Et là, la petite dame au téléphone (au demeurant fort gentille), me dit que cette réclamation va me valoir une augmentation de prime. Hein???? Je paye pas depuis sept ans des assurances justement pour pouvoir les utiliser en cas de besoin? Mais non, il fallait que la compagnie «se rembourse». Je n'ai pas fait de réclamations et j'ai changé de compagnie, mais je ne pense pas que ce soit si différent ailleurs.

Nomadesse a dit…

Je connais quelqu'un qui travaille pour une banque. Elle a le même problème: en assistant à une réunion, elle voit que les dirigeants regrettent que depuis la crise de 2008, les gens remboursent plus leurs dettes, ayant moins de retards, la banque fait moins d'argent (surtout avec la carte de crédit!)... Un peu mal au coeur.

Je comprends tout à fait ton interrogation.

Nomadesse a dit…

Les compagnies ont en effet toutes les mêmes critères de base. J'en ai fait les frais aussi: deux bris de pare-brise et un vol de voiture et j'étais inassurable. J'ai été obligé de vendre ma nouvelle voiture (parce qu'on m'a annoncé la nouvelle lors de mon renouvellement et non pas après le vol de mon auto d'avant) et d'attendre six ans avant d'avoir de nouveau une auto à mon nom. L'enfer.

Gen a dit…

@Nomadesse : Hein?!? Inassurable à cause de deux prix de pare-brise et un vol?!?! T'es sûre que tu avais regardé partout? (D'habitude, il finit toujours par y avoir une compagnie prête à t'assurer...moyennant ton âme et ton premier né...)

@Prospéryne : Je confirme : tout assureur va se rembourser à même ta prime. Ou, en cas de grosse réclamation, à même les primes des autres clients susceptibles de subir le même genre de perte. Faut vraiment que le montant soit élevé pour que ça vaille la peine.

@Nomadesse (encore) : Ouais, en effet, même genre de milieu pourri.

Claude Lamarche a dit…

Veux-tu bien me dire où a pris cette illusion que la justice existe telle que nous la concevons? Comment notre esprit a-t-il réussi à concevoir une valeur qui n'est nullement le reflet de la réalité?

Gen a dit…

@ClaudeL : Je crois que ça vient du fait que le système de lois est, dans son esprit, bel et bien le reflet de la justice telle que la société la conçoit. Ce n'est pas ça le problème. Le problème, c'est l'applicable dudit système... et le temps que ça prend pour changer les lois quand les valeurs de la société changent. C'est là qu'entrent en jeu les questions d'argent, les stratagèmes d'avocats (ou d'assureurs), les manœuvres politiques, etc.

Isabelle Lauzon a dit…

Ouf! Ouais, j'étais inquiète en lisant ce billet (que ton boss tombe dessus), mais si tu assumes pleinement... ;P

Gen a dit…

@Isa : Pleinement et totalement!

Hélène a dit…

Malheureusement tu décris le reflet d'une bien triste réalité: comment choisir entre un milieu de vie sain et respecter tes valeurs? Ne pas désespérer, concilier les deux est certainement possible et je te le souhaite.

Gen a dit…

@Hélène : Je commence à voir la lueur au bout du tunnel. J'ai encore des réflexions à faire... On verra bien! ;)