vendredi 9 mars 2018

Versions

Ceux qui ont reçu des textes de ma part dernièrement ont manifesté un peu de surprise. Je crois que j'avais déjà la réputation de travailler longtemps mes textes avant de les soumettre, mais tous mes éditeurs ont levé des sourcils étonnés en recevant des fichiers intitulés NouvelleV9 ou même AutreNouvelleV11. Neuf ou onze versions pour des textes de moins de 5000 mots? Tu fais du zèle, Gen, m'a-t-on dit.

(Je crois que certains sous-entendaient "Tu vivras jamais de ta plume à ce rythme-là!" et/ou "Tu peux ben chialer que tu écris pas vite!")

Cependant, cette multiplication des versions de texte s'explique tout simplement par ma nouvelle manière de considérer les versions, inspirée de mon chéri.

Voyez-vous, quand un programmeur écrit du code informatique (attention : ceci est une vulgarisation horriblement simplifiée du vrai procédé), s'il décide de le modifier ou d'abandonner une version qui ne le menait nulle part, il crée un nouveau fichier qu'il appelle une "branche" et il indique à quel moment il a bifurqué de son code original, puis il continue à travailler à partir de ce point.

Les écrivains ont plutôt tendance à travailler de manière linéaire. (Entk, c'est comme ça que moi je travaillais auparavant). On écrit le texte en entier une fois, puis on crée une nouvelle version qu'on retravaille, puis une autre version, etc, jusqu'à ce qu'on soit satisfait du résultat (ou que la date de tombée soit passée). Alors dès qu'une bifurcation importante se présente, par exemple l'idée de tuer un personnage plus vite que prévu ou, au contraire, de le laisser survivre, on a tendance à figer. Ben là, pense-t-on, si je pars dans cette voie-là et que c'est pas la bonne, je vais avoir des semaines de texte à effacer.

Et s'il y a un truc que je pense universel chez les écrivains, c'est que ça nous écoeure d'effacer du texte.

En m'inspirant du système de versions et de branche des programmeurs, j'ai contourné le problème. Désormais, quand je sens que le texte m'amène sur une voie X ou Y qui n'était pas tout à fait prévue, je sauvegarde mon fichier en tant que nouvelle version (pis si j'y pense, j'écris dans la description du fichier quel est le point de bifurcation) et j'écris. Je regarde où ça m'entraîne.

J'aime? Je continue et on dirait juste que j'ai changé de numéro de version pour le fun. Pis au bout d'un moment, j'ajuste mon plan (sous forme de nouvelle version) pour refléter ma nouvelle avenue.

J'aime pas? Pas de problème : j'abandonne le texte en cours de route. J'ai rien à effacer ou à détruire. Je récupère la version du fichier pré-bifurcation, je l'enregistre en lui donnant un numéro de version plus récent et, hop, je suis repartie.

Pour les projets de longue haleine, je teste mes bifurcations sur plan avant de m'y lancer, mais le principe reste grosso modo le même (ce qui fait que j'ai désormais des dizaines de versions de plan! hihihihi!)

Oh, je suppose que les logiciels de scénarisation hot genre Scrivener et compagnie ont des outils pour gérer ces tâtonnements narratifs et versions multiples. Cependant, comme je n'aime pas travailler avec autre chose que Word (trop de sources de distraction possible en découvrant les fonctions d'un nouvel outil), cette manière minimaliste fonctionne bien pour moi.

Et vous, comment gérez-vous vos versions?

6 commentaires:

Guillaume Voisine a dit…

J'utilise un système de numérotation qui marque l'avancement du texte (j'archive un copie du texte après chaque séance d'écriture). Ça ne permet pas de branching directement, mais c'est assez facile aller récupérer des éléments d'une version antérieure, au besoin. De mémoire, ce n'est jamais arrivé, mais ça m'apaise et m'encourage de procéder ainsi.

Mais je me demande (autre informaticien ici, qui a titlé un peu quand t'as parlé de branches en termes de "fichier", lol!) si ça ne vaudrait pas la peine d'utiliser directement git (ou svn. Mais je connais surtout git) pour faire du version control sur des textes littéraires. L'outil est entièrement conçu pour gérer des sources textuelles. Je ne sais pas comment il se comporte avec des fichiers doc, docx ou odt, cela dit.

Gen a dit…

@Guillaume : Comme je dis, je préfère ne pas m'éparpiller dans trop de logiciels, mais c'est vrai que si git ou svn ou un autre gestionnaire de source pouvait gérer les formats doc, ça pourrait être pratique. De mémoire, j'ai vu mon chum utiliser un outil (mais je sais ben pas lequel) qui permettait même de visualiser les branches... (Qui n'a pas rêvé de voir son roman en cours sous forme d'arbre? :p )

Mais bon, on s'entend : comme tu dis, on garde les versions antérieures surtout pour des questions d'apaisement. La plupart du temps, ça sert pas. Même mon système de version sert peu, quoiqu'il soit très pratique en début de rédaction pour tester plusieurs narrateurs.

Dominic Bellavance a dit…

On dirait que tu reprends mot à mot un chapitre dans le livre que je suis en train d'écrire Ô_Ô (faut croire que l'info est pertinente).

Oui, Scrivener intègre une fonction pour sauvegarder ses versions antérieures. Je m'en sers souvent, et surtout pour me rassurer : c'est vraiment rare que j'aille forer dans le passé.

Gen a dit…

@Dominic : Tention, ce billet pré-date ton chapitre! :p Je me doutais que Scrivener permettait de gérer les versions antérieures, mais permet-il de repérer les branches ou seulement de garder des versions passées numérotées de manière linéaire?

Et si ça peut valider cette habite qu'on a de garder nos versions passées : ça m'a servi une fois! Dans Hanaken 2, une phrase avait sauté durant une révision et on s'en est aperçu seulement au moment du montage. Heureusement, je l'ai déterrée dans une version plus ancienne. Ouf!

Dominic Bellavance a dit…

@Gen : Que veux-tu dire par "repérer les branches"?

Dans Scrivener, on peut sauvegarder ce qu'on appelle un "Instantané", qui va sauvegarder un segment de texte, le dater et le classer dans un historique consultable. On peut appuyer sur "Comparer" pour faire apparaitre les suppressions en texte barré et les ajouts en souligné, pour montrer les différences entres la version actuelle et une ancienne.

Ça m'arrive de restaurer une vieille version à la réécriture, quand je réordonne un texte et le réécris à outrance, pour me rendre compte qu'au final, c'est pas mieux qu'avant...

Gen a dit…

@Dominic : Je veux dire : peut-on mettre des notes (genre : ici je sauvegarde parce que je viens de décider que mon personnage ne tuera pas le méchant après l'avoir attrapé, voyons où ça mènera...) ou ça sauvegarde seulement par date?

(Ah oui, la réécriture à outranche qui sert à rien. C'est pour ça que je sauvegarde toujours sous une autre version avant de commencer à bidouiller le texte! hihihihi!)